lundi 18 janvier 2016

Retour à la case communale

Mes années d'école ne commencèrent qu'à mon entrée en cours préparatoire. Peu d'enfants allaient dans les années 1950 en maternelle. Je ne pourrais décrire mon tout premier jour, je n'en ai aucun souvenir. Tout ce que je sais, c'est que je ne souffris pas de ce changement de rythme. Ma "maîtresse" s'appelait madame Renucci. C'était l'épouse du directeur qui lui, tenait la classe de fin d'études et préparait ses élèves au fameux certificat du même nom. Nos pupitres étaient alignés et non pêle-mêle comme le recommandent aujourd'hui les huiles de l'Education Nationale qui voient en la discipline et l'effort des notions horribles propres à traumatiser les enfants. Nous étions polis et silencieux, nous n'avions pas nos parents pour nous soutenir si d'aventure nous étions punis et si l'on avouait en famille que l'on avait reçu une tape sur les fesses de la part d'un enseignant, il fallait s'attendre à ce qu'une gifle bien sentie montre l'approbation totale du père, allié indéfectible des maîtres d'école.
J'appris donc sagement à lire et à compter et à écrire de la main droite, moi qui étais gaucher, toujours sans avoir le besoin d'une thérapie. Au grand bonheur de tous, on n'avait pas encore inventé les psychologues scolaires, personnel généralement recruté parmi les instituteurs et institutrices incapables de tenir une classe ou de supporter des enfants. Deux ans de formation, et hop, le tour est joué. Comme par miracle, vous voilà tranquille, mieux payé et face à un enfant à la fois, et ce de temps en temps. Comme vous travaillez sur plusieurs écoles, en plus, on ne sait jamais où vous êtes. Mais laissons là ces vérités pour revenir à notre sujet.
Droitier apprivoisé, les lignes écrites à l'encre sur mes cahiers étaient exemptes de taches ou de ratures. L'encre violette se mêlait à l'encre rouge, annotation de la maîtresse. Nous étions classés et nous aimions cela. Je me souviens de la progression de ma place: dixième, puis septième et enfin sixième sur trente bambins. Lorsque j'entrai dans la classe supérieure, le cours élémentaire première année, j'étais fasciné par la maquette d'un château-fort en carton. Posée sur le sommet d'une armoire à côté d'une aigrette empaillée, je rêvais de chevaliers, de batailles et de souterrains emplis de trésors. La lecture de passages du Roman de Renart -avec un "t"- me conforta dans cet amour naissant pour le Moyen-Âge. Mais la grande joie de toute la classe avait un nom de collection de livres: les Albums du Père Castor. Les bras sagement croisés, nous écoutions notre institutrice nous lire une aventure où les animaux tenaient la vedette. Je me souviens d'un gentil écureuil poursuivi par une fouine et en ma mémoire, cette poursuite est aussi haletante que la meilleure des séances de cinéma sur le sujet.
Enfin arriva le moment que j'attendais depuis mon entrée en école primaire: être en cours élémentaire deuxième année. C'était pour moi la classe de "la jolie maîtresse". Cette institutrice toujours très bien habillée, discrètement mais efficacement maquillée, donnait du bonheur rien qu'à la regarder. Toute la classe, composée uniquement de garçons, était amoureuse d'elle et travaillait d'arrache-pied sans qu'on ait besoin de le lui imposer. J'ai revu, bien des années plus tard cette institutrice. Toujours aussi jolie, je la trouvais bien petite! Il faut dire que le gamin d'un mètre trente de l'époque mesurait désormais un mètre quatre-vingt-sept! Ceci explique cela.
L'année scolaire passa trop vite évidemment et vint alors ma dernière année en cette école. Les dictées provenaient de grands textes de Victor Hugo ou d'Anatole France, un plaisir pour notre sensibilité littéraire, les problèmes comportaient de nombreuses opérations et nous faisions des "rédactions". J'aimais beaucoup ces rédactions où je pouvais laisser libre cours à mon imagination. Malheureusement, il ne m'en reste aucune trace. Enfin, dans un cahier personnel, je copiais soigneusement des petits textes, des phrases que je trouvais particulièrement belles ou émouvantes. Dans cette collection, j'avais comme ami Alphonse Daudet, Lamartine et son lac, Apollinaire et son Pont Mirabeau ou encore Eluard et sa Liberté.
Notre maîtresse tenta un grande innovation: nous faire faire du sport dans la cour. Une révolution pour l'époque! Mais cette louable initiative tourna court dès la première leçon. Le directeur ouvrit une des fenêtres de sa classe et intima l'ordre à notre institutrice d'arrêter immédiatement ce "tapage insupportable" et de retourner dans ses locaux. Nous étions tous glacés par la peur! En rang et plus silencieux qu'une procession de moines allant à la chapelle de leur monastère, nous retournâmes nous enfermer. Nous n'entendîmes plus jamais parler de sport.
Mais nous ne songions pas uniquement à l'étude. Chaque récréation avait ses jeux selon les saisons. Osselets en "vrai" os choisis chez le boucher, courses pour faire tourner une hélice épinglée sur un bouchon de liège et découpée dans une carte-postale. La folie des billes commençait vers le mois de mai. Nous avions chacun un sac de toile remplis de noyaux d'abricot et d’agates ainsi qu'une petite maison fabriquée dans une boîte en carton avec des fenêtres où il fallait adroitement faire entrer les dits noyaux pour en gagner le nombre inscrit sur cette ouverture. Tous ces jeux ont pratiquement disparu, provisoirement peut-être, des cours de récréation, remplacés par des ballons en mousse et des échanges de cartes hors de prix. Ainsi va la vie, les modes passent puis un beau jour les objets oubliés reviennent en lumière. Sauf que je doute, à l'ère des jeux électroniques, que de simples noyaux puissent à nouveau, un jour, passionner les enfants.

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