mardi 19 janvier 2016

Octobre et la rentrée des classes

Dans les années cinquante, la semaine et l'année d'un écolier en France, et donc en Provence, n'avaient que peu de rapport avec celle que connaissent en ce vingt-et-unième siècle les enfants. Pas de mercredi mais un jeudi, pas de samedi libre mais un samedi complet en classe. Je n'échappais pas à ce calendrier. Mon école communale, celle de la rue Duperrier, à Aix-en-Provence, me semblait immense. Nous n'étions que des garçons. Les filles, elles, fréquentaient les bâtiments mitoyens. Aucun contact possible: un immense portail gris, en bois plein, sans trou de serrure, dissuadait de toute velléité d'approche. Mais la grande différence avec les années scolaires de maintenant, résidait surtout en la liberté que nous, les enfants, gardions jusqu'à la fin du mois de septembre: les écoles étaient fermées et les élèves sensés aider aux travaux des champs. Cela peut faire sourire aujourd'hui où la campagne est devenue un dortoir vert pour une population pressée, mais, "à l'époque", la dite campagne servait encore à ce pourquoi elle avait été crée: elle était cultivée. 
En Provence, privée d'eau car la Durance n'était pas encore domestiquée, les champs à la fin de l'été, se parait d'or, la couleur des blés mûrs. Les vignobles voyaient le temps des vendanges arriver à grand pas tandis que les melons jaunes et les pastèques disparaissaient peu à peu du paysage tout comme les tomates.
André, mon frère, et moi travaillions alors pour une paye qui ferait sourire aujourd'hui. Il devait avoir tout juste un peu plus de dix ans et moi, quatorze. Lui percevait 1,25 F et moi, plus âgé 1,75 F. Pas de quoi s'acheter Versailles certes, mais nous étions fiers de ce salaire. Nous ramassions les pommes de terre, les haricots verts, nous cueillions le raisin et les pêches. C'était un travail d'équipe sous le soleil. Notre mère nous recommandait: "Mettez vos casquettes!" Ce que nous refusions de faire. Porter une casquette dans ces années-là, était ressenti comme un signe de débilité, les temps ont bien changé!
C'est ainsi que nous avons appris, en travaillant chez des paysans le respect du travail, de la terre par l'effort qu'ils demandent. Le plus difficile pour nous résidait dans la cueillette des haricots verts. A cheval au-dessus des plantes, malgré toute notre bonne volonté et notre concentration, nous étions vite distancés par les autres membres du groupe. Cela ressemblait à une course dont nous étions toujours les lanternes rouges. C'est impressionnant le nombre de haricots qu'il peut y avoir dans une seule plante et qui prennent un malin plaisir à se cacher ou à vous glisser entre les doigts. Heureusement que nous étions payés à l'heure et non au kilo!
En fin de semaine, nous recevrions le fruit de nos efforts en pièces et billets. Pour nous, cela représentait la richesse certes mais aussi nous donnait le sentiment d'être "des grands" utiles et courageux, résistant au soleil d'automne de notre Provence, presque aussi chaud que celui du plein été. Je ne sais ce que nous faisions de cet argent. Je n'ai aucun souvenir de dépenses particulières. Les tentations n'étaient pas celles d'aujourd'hui. Nous trouvions légitime de ne recevoir des cadeaux que pour nos anniversaires et pour Noël. Il ne nous serait même pas venu à l'idée de demander quoi que ce soit. Nos vélos étaient notre bonheur. A ce propos, soyons honnête, notre Zaza de soeur héritait de nos bicyclettes devenues trop petites et souvent très fatiguées. Ainsi, par une belle après-midi à la campagne, elle est revenue à la maison les mains et les genoux écorchés, le nez râpé et le front tuméfié. Non, elle n'avait ni perdu les pédales -ni d'ailleurs sa culotte, mais cela étant une habitude, nous nous étions lassés de la taquiner à ce sujet- mais le guidon de son vélo. Malgré ses qualités d'acrobate qui lui permirent de parcourir une trentaine de mètres à la grande admiration des vieux du village, elle finit sa course dans le fossé sous les applaudissements et les éclats de rire avant que l'on songe à porter secours à la pauvre bicyclette, rouge de honte. Notre mère soigna Zaza avec la médecine miracle: du mercurochrome, transformant notre petite soeur en véritable camion des pompiers et comme elle hurlait de rage et un peu de douleur, elle en avait même la sirène. "Il ne te manque que la grande échelle! " déclara notre père réaliste.

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