ZAZA
Mes parents avaient maintenant un grand appartement, deux garçons "tirés d'affaire". Ils décidèrent donc d'agrandir notre cercle familial. Nous étions déjà en juin 1954, pas de temps à perdre. Mon frère et moi, trouvions que notre mère avait bien grossi ces derniers temps. Mais comme la fête des mères n'était pas loin, nous évitions d'évoquer cette prise de poids pour ne pas lui faire de la peine.
Or, en un soir de ce tout début d'été provençal, tandis que nous mangions une soupe "au pistou", ma mère nous demanda soudain:" Vous aimeriez avoir une petite soeur ?" Je regardais mon petit frère et avec l'accord tacite de son regard, je répondis:" Nous préférerions un chat!" C'était vrai, cela faisait longtemps que nous en rêvions d'avoir un petit cousin du tigre à la maison, moi surtout car du haut de ses trois ans, l'avis d'André n'avait pas beaucoup de poids.
Devant cette réponse consternante mais sincère, notre mère hésita un peu, mais finalement poursuivit son propos: "J'attends un bébé pour la Noël prochaine!"
Là, je fus totalement abattu! Une cigogne à la place du Père Noël! Quelle catastrophe! Il faut préciser qu'en cette lointaine époque, les enfants n'avaient aucune idée de la façon dont les bébés arrivaient sur terre. Les garçons et les filles vivaient dans des mondes différents et cloisonnés, sans contacts sauf pendant les vacances scolaires. Mais je sentis que le mal était fait et qu'un bébé allait déranger notre tranquillité.
Noël passa. Pas de nouveau bébé à l'horizon! La fête ne fut donc pas gâchée. Le 27, ma mère disparut. Notre père nous confia à des amis voisins, à deux pâtés de maison de notre appartement. Ces amis avaient une famille de quatre ou cinq enfants, je ne me souviens pas très bien du nombre exact. Je garde en ma mémoire le souvenir du père. Il avait toujours un gant de cuir noir. Cela cachait l'amputation due à une blessure de guerre. Nous restâmes deux ou trois jours ainsi "abandonnés" chez ces gens charmants que je n'ai plus revu depuis mon enfance.
Enfin, ce fut le retour à la maison. Ma mère avait eu raison: c'était bien une petite fille que nous avait apporté la cigogne. André et moi la regardions avec curiosité, je ne parle pas là de la cigogne, bien évidemment. Je me demandais si c'était en hommage à mon petit frère qui était né vieux et laid que mes parents avaient choisi de l'appeler "Jeune-vieille". Renseignements pris, ils furent un peu étonnés de ma remarque et rectifièrent: "Ce n'est pas Jeune-Vieille mais Geneviève". Je fus un peu déçu mais acceptai par obligation ce prénom détestable. Des tout premiers mois de Geneviève, je n'ai guère de souvenir. C'était un bébé discret qui pleurait peu et tétait bien. Les boîtes de lait changeaient au cours des semaines: premier âge, deuxième âge, troisième âge. J'aimais bien ces boîtes qui faisaient de merveilleux jouets. Lorsqu'elle eût trois ou quatre mois, Geneviève se mit à gazouiller tout en faisant des bulles. Cela l'amusait beaucoup. Deux syllabes revenaient souvent "zaza". Un jeu se mit en place. Si on demandait à Geneviève "Comment tu t'appelles?" Elle répondait en souriant "Zaza". Ainsi, toute la famille oublia vite le prénom officiel pour celui, plus agréable de "Zaza". Je n'en étais pas mécontent, Zaza étant orthographiquement à Geneviève, ce que vélo est à bicyclette. Quant à mon père, grand admirateur de Zaza Gabor, il trouva charmant ce changement.
Enfin, André et moi, considérions que Geneviève n'avait pas eu beaucoup de chance. Naître trois jours après Noël et avoir sa fête moins d'une semaine après, cela ferait faire de sérieuses économies à la famille! Je proposais donc, en ma qualité d'aîné de déplacer l'anniversaire de Zaza au 28 juin, mais mes parents trouvèrent la suggestion irrecevable; "Tu préfères partir en vacances ou dépenser cet argent-là pour l'anniversaire de ta soeur?" J'aimais bien ma soeur, mais finalement trouvais que garder la bonne date était la meilleure solution.
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