mercredi 20 janvier 2016

Vacances en Ardèche ou Expédition Vivarais




Les départs en vacances ne valent que par leurs acteurs! Et je dois dire que notre Raimu à nous, c'était Albert le chef de famille. On aurait dit qu'il se préparait à entrer dans le Bar de la Marine pour jouer à la manille, non avec l'élégance de Monsieur Brun mais avec le débrailler marseillais du capitaine du ferry-boat.
Eh oui, il faut bien l'admettre, notre père en juillet, valait largement le détour que nous faisions pour ne pas paraître être ses enfants. Lui, qui toute l'année était tiré à quatre épingles, costume, cravate, chemise blanche, devenait méconnaissable. Plus de costume mais un short bleu difforme, plus de chemise blanche mais un tricot de corps à nid d'abeilles et à bretelles, plus de chaussures noires mais des sandales d'où dépassaient des chaussettes usagées et sans élastique. On l'aimait notre Albert, mais on préférait qu'il marche seul, devant ou derrière nous! Notre mère, elle, portait des robes à grosses fleurs d'où parfois dépassait une "combinaison" et des talons plats, nous les garçons des culottes courtes qui tenaient contrairement à celle de notre petite soeur, la pauvrette. Nous ne passions pas inaperçus vous vous en doutez. Mais notre terreur ne s'arrêtait pas là! Notre Albert de père, à l'improviste, pouvait éternuer si fort qu'il nous faisait tous sursauter ou alors croire reconnaître une cousine et hurler son prénom. A dix ans, j'avais parfaitement assimilé l'expression "raser les murs"!
J'ai de vagues mais excellents souvenirs de mes toutes premières vacances. Mon frère André avait cinq mois. Son jeune permanent et sa propension à ne manger qu'après le coucher du soleil en contemplant des moutons inquiétaient mes parents, surtout mon père d'ailleurs, sans que je ne sache trop pourquoi. Moi, du haut de mes cinq ans, je regardais les grandes filles, déjà! j'ai en mémoire le sourire d'une très jolie dame descendant d'une Simca 6, véhicule oublié aujourd'hui. Elle me caressa la joue puis disparut trop vite à mon grand regret. On ne parlait pas encore de Zaza. Il lui restait quelques années de répit avant de descendre en ce monde subir ses frères. Si elle avait su!
Ces toutes premières vacances se passèrent à Saint-Agrève, un joli village en Ardèche. Nous prîmes le train en gare de Saint Charles à Marseille pour aller jusqu'à Valence puis un car au long capot jusqu'à notre destination finale. Nous voyageâmes en troisième classe, les sièges du wagon étaient en bois, la locomotive crachait une colonne de fumée et de vapeur qui m'impressionnait. Je n'avais pas encore lu "La bête humaine" mais il devait y avoir de grandes ressemblances. Ce charbon englouti dans la chaudière incandescente, ces énormes roues actionnées par de gigantesques bielles, ces wagons verts foncés, Zola n'était pas loin! Quant à nos bagages, ils avaient été expédiés quelques jours avant notre départ. Cette année-là, par chance ils arrivèrent en même temps que nous, ce qui ne fut, par la suite, pas toujours le cas.
Notre hôtel était modeste, sans commodités de toilettes dans la chambre. De la salle de restaurant, on voyait sur la place, les veaux et génisses que les éleveurs en sarrau et chapeau noirs venaient négocier. Des boeufs attelés par paire passaient encore sous nos fenêtres. Une époque totalement oubliée aujourd´hui, un demi-siècle plus tard. Je ne sais combien de temps dura ce séjour. Ce dont je me souviens, c'est que notre tante Marguerite était là. Elle marchait beaucoup et se plaignait d'être souvent suivi par les vaches lors de ses randonnées. Peut-être était-ce l'effet de son prénom! Après Saint-Agrève, nous allâmes pendant trois années successives à Lalouvesc. Là, Geneviève était avec nous, elle devait avoir un an et demi pour son premier séjour en Vivarais. Nous passions une quinzaine de jours en pension familiale, à l'orée de d'une forêt agréable au sol tapissé de myrtilles.
En ce temps-là, Lalouvesc, ou La Louvesc selon les différentes sources, vivait du tourisme, des pèlerinages et des colonies de vacances de la ville d'Oran. Le tourisme s'estompant, la foi diminuant et l'Algérie indépendante, tout s'écroula. Les petites boutiques de part et d'autre des huit cents mètres de montée à la Source Miraculeuse fermèrent les unes après les autres, la vente des cierges ne fit plus recette. Saint François Régis tomba dans l'oubli et la veuve Couderc, bien heureuse embaumée et visible comme Blanche Neige dans son cercueil de verre, n'eut plus le sommeil éternel troublé que par de rares touristes égarés.
Un départ pour Lalouvesc, en ce temps-là, c'était pour notre famille un moment exceptionnel et matinal. Tout le monde était sur pied dès quatre heures du matin. La quatre chevaux Renault attendait au pied de l'immeuble, rue de Lacépède à Aix: notre père l'avait sortie du garage dès trois heures. Elle allait souffrir, la pauvresse! Sur le toit: les bagages, dedans: ma mère, mon père, les trois enfants et Chef Roger. Autrement dit moins de places assises que de prétendants. Les valises attachées, chacun entrait dans l'habitacle. Chef Roger à la place du mort, mon père au volant, et sur la banquette arrière au milieu, notre mère avec Zaza sur ses genoux. Au milieu pour la tranquillité de tous afin que nous, les garçons, nous ne nous battions pas.
J'avais l'impression que nous partions pour le bout du monde, et c'était effectivement, à cette époque le bout du monde où nous allions. Quel nom magique que celui de "Vivarais"! Le pays des forêt de la fraîcheur en été, des amis retrouvés d'une année sur l'autre, des soirées familiales où chacun se produisait et des fillettes dont je tombais amoureux malgré ma toute jeune dizaine d'années. Oui vraiment, le temps des vacances avait un parfum de paradis, d'autant que notre village possédait une source miraculeuse, une basilique, des vendeurs de cierges et de pot de moutarde en forme de WC, chef d'oeuvre du bon goût touristique.
J'aimais ces vacances où je fis mes premiers pas d'artiste en chantant avec mon accent provençal pour une assemblée gagnée d'avance. "Quand dans l'azur monte le clair soleil..." Temps où j'appris à jouer au ping pong, à "la lyonnaise" avec d'énormes boules sur un terrain qui me semblait immense. Nous séjournions dans une grande maison "Fontcouverte" . Cette pension familiale bâtie à la lisière du Mont Chaix faisait le bonheur les parents et des enfants. Les parents étaient tranquilles car il n'y avait aucun danger à l'entour et les enfants heureux de se sentir la bride sur le cou. Chef Roger séjournait un peu plus bas, près de la source du bon Saint François Régis, chez des amis. Il montait nous retrouver et organisait des jeux de piste ou nous faisait préparer les soirées. Ainsi passaient très vite deux semaines de vacances enjolivées par la cuisine ardéchoise ou lyonnaise: quenelles, crème fraîche, gratin dauphinois. Je me souviens encore aujourd'hui de la cuisinière. Elle me semblait très âgée et ne parlait que le patois ardéchois, incompréhensible pour l'enfant que j'étais.
Bien des années plus tard, je suis passé par Roanne pour rendre visite à une dame qui elle aussi, avait séjourné à Fontcouverte. La dernière fois qu'elle m'avait vu, je devais avoir tout juste dix ans. Lorsqu'elle ouvrit sa porte, elle s'écria: "Tu n'as pas changé!" Je souris gentiment et précisais: "sauf que j'ai quarante ans de plus".
Le temps des vacances à Fontcouverte s'arrêta brusquement. La maison familiale avait été vendue et ne recevrait plus de vacanciers. Une page de notre vie se tournait définitivement. Je suis, depuis ce temps, retourné plusieurs fois à La Louvesc sur les traces de notre enfance. Zaza a bien grandi, elle ne court plus dans le pré en jupe blanche, André ne ressemble plus à Ike. Les poneys ont remplacé les enfants. Mais quand je passe devant "notre" maison de vacances, je ressens toujours une étrange sensation, mélange de nostalgie et de bonheur. Le Mont Chaix a vu son sommet dévasté par la tempête de l'an 2000, ses arbres sont cassés et sèchent lentement avant de s'écrouler. Le magnifique "Bois de Versailles", lui, a été entièrement détruit par la même tempête. Il ne reste rien de ses arbres majestueux et de ses larges allées. Les hôtels ont fermé les uns après les autres et tombent en ruine. Les banques, sentant que la richesse avait quitté les lieux, ont déserté elles aussi le village: pas le moindre distributeur de billets à la disposition des touristes et des habitants:la priorité est aujourd'hui à la rentabilité. Il ne reste plus qu'à Saint François Régis et à la bienheureuse Couderc à s'unir pour qu'un miracle fasse renaître La Louvesc. Une petite apparition de leur Sainte Patronne par exemple amènerait des pélerins et soulagerait Lourdes, surchargée! En plus la basilique est magnifique, la "Maison du Pélerin" opérationnelle, la source miraculeuse disponible, le climat agréable, ce n'est donc pas la mer à boire. En plus, je suis sûr que si là-haut, au paradis, les saintes autorités compétentes déléguaient Chef Roger pour les repérages, il en serait tout heureux. Dévoué comme il l'était, il ferait cela très bien. Tout le monde aurait à y gagner sur la terre comme aux cieux.

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