lundi 13 mai 2013

Les limaçons

Il fallait se rendre à l'évidence, notre père n'accepterait jamais qu'un chat ou à plus forte raison un chien entre dans notre famille. Mon petit frère et moi, nous n'aurions pas d'autre animal de compagnie que Zaza mais cela n'allait pas durer, elle ne marcherait pas toujours à quatre pattes. En plus, elle ne savait ni aboyer ni miauler. Tout au plus elle gazouillait. Mais pas question d'essayer de lui apprendre à voler en la poussant par la fenêtre même s'il y avait eu un précédent dans la famille du côté de ma mère,  nous pressentions que nos parents n'étaient pas d'accord pour que nous menions à bien cette éducation pourtant intéressante. Il y des moments où les enfants ne sont vraiment pas aidés par leur entourage. Bref, nous ne saurions jamais si notre petite soeur avait des dispositions pour le vol sans assistance.
 Ce projet abandonné, Marguerite, qui n'était pas une charolaise mais la soeur marseillaise de notre mère, essaya de nous consoler en apportant, un dimanche matin, une magnifique petite souris blanche. C'est beau, une souris blanche avec de toutes petites oreilles rosées, une longue moustache, une petite queue légèrement duveteuse et un petit museau toujours en mouvement. Pourtant, notre père fut totalement insensible à ce charme subtil. Il ne tolérait les souris que dans les dessins animés de Disney. Pire, il fut très désagréable envers Marguerite dont il secoua les pétales. Notre tante fut donc obligée de retourner à Marseille, avec la cage, la souris et les morceaux de vieux fromage qu'elle avait apportés. La déception nous envahit.
Quelle vie! Sans chien, sans chat, sans souris, sans rat et avec une petite soeur qui n'était même pas un garçon! En plus, elle était l'objet de toutes les sollicitudes, de toutes les attentions parentales. "Occupez-vous de Geneviève!" "Prêtez-lui vos jouets!" "Faites-là jouer!" "Arrêtez de la taquiner!" "Ne la faites pas pleurer!" "Vous allez lui faire mal!" Et puis quoi encore! Si Zaza était si fragile, il n'y avait qu'à pas la ramener de la clinique et la donner à un marchand de porcelaine habitué aux objets fragiles! Mais là encore nos parents n'étaient pas en phase avec nous.
En désespoir de cause, un dimanche après-midi de campagne et de printemps, nous ramassâmes, André et moi, tout un bocal de petits gris. Les "petits gris" ne sont pas des extra-terrestre comme le croient des ufologues, mais de tout petits escargots blancs. C'est d'ailleurs une curiosité sémantique que cette dénomination de "petits gris" pour des bestioles à corne, blanches. Je me permettrais donc une explication. Si ces petits gris avaient été dénommés "petits blancs" il y aurait eu une confusion possible, une imprécision regrettable. Il eut été possible de confondre un colon européen de l'Afrique avec un escargot de petite taille. Mais laissons ces subtilités aux experts agréés et dûment certifiés par la Faculté de lexicologie comparée et revenons à cette belle après-midi familiale.
Tels des grains de riz dans leur paquet, nos escargots s'entassaient dans notre bocal. A notre grand étonnement, notre père ne dit rien et nous laissa rapporter notre cueillette à la maison. Je me demande aujourd'hui encore, ce que nous comptions en faire. Nous fermâmes le bocal avec une feuille de papier que nous fixâmes à l'aide d'un fil de laine. Le tout fut posé sur la cheminée, inutilisée de la salle à manger, devant une immense glace. Vint la nuit, l'obscurité et le sommeil. Un tour de cadran et au réveil, une grande surprise. Il y avait des escargots partout! Le couvercle avait sauté sous la pression. Des grappes entières avaient rampé sur la glace et colonisé les moulures en plâtre du plafond, d'autres avaient envahi le bureau voisin dont notre père était si jaloux et si fier. Partout des traces argentées! Notre mère faillit s'évanouir! Les petits gris avaient choisi la liberté, une véritable grande évasion. Ce n'était pas une réussite: notre amour des bêtes se voyait encore contrarié et mal récompensé! Décidément, mieux valait désormais jouer avec notre petite soeur, nous exposions à beaucoup moins de risque.








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