mardi 14 mai 2013

Ma pauvre petite soeur...

Après la catastrophe du 30 décembre 1954, nos existences paisibles, la mienne et celle de mon pertit frère André, frisèrent l'enfer . Notre enfance allait être, à compter de cette date, bouleversée, piétinée, sacrifiée: une fille venait d'entrer que dis-je d'entrer! d'envahir notre famille.  Une soeur venait de nous être imposée par des parents inconscients du cataclysme qu'ils causaient en notre psychisme misogyne et pourtant si fragile de garçons de huit et trois ans. Une soeur, alors que, comme je l'ai écrit plus haut, nous souhaitions avoir un petit chat, un berger allemand ou au pire un poisson rouge.
Mais nous n'étions pas décidés à nous laisser faire. La résistance devait s'organiser. Nous avions, certes, perdu une bataille mais la guerre n'était pas pour autant terminée. Il nous fallait seulement organiser la résistance: nos jouets disparurent sous nos lits, inaccessibles, nos livres gagnèrent de la hauteur sur les étagères, des lignes de démarcation furent tracées.
Aujourd'hui, je me demande encore comment cette pauvre enfant a pu survivre sans conserver de graves séquelles dues à nos mesquineries et à nos moqueries et sans avoir eu besoin d'autre soutien psychologique que les chansons de Sheila ou de Claude François. Cela prouve, un fois de plus, s'il en était besoin, la supériorité de caractère de la Femme, avec un grand "F" comme dans Fesse ou Fé...licitation! Cela montre la hauteur morale de notre soeur et sa faculté à résister aux mauvais traitements de ses frères de lait ainsi que la puissance curative des grands philosophes en paillettes.
Mais, si je plaide coupable, il convient d'ajouter une précision capitale pour atténuer la portée de nos turpitudes enfantines: la complicité involontaire de notre mère. Cette brave femme n'a jamais été capable d'acheter à son unique fille, une culotte à sa taille. Et je ne parle pas du bob ridicule ou des robes informes dont Geneviève était affublée. 
Ce calvaire maternel, ce chemin de croix vestimentaire, nous, les frères, le complétions en chanson: "grosse et grasse et bien gentille" devint notre hymne presque quotidien. Finalement, notre petite fut sauvée par notre lassitude et par nos intérêts divergents. Geneviève commença à avoir, enfin, la paix.
Quant à moi, j'entrais dans les années de l'adolescence. La guitare m'attirait bien plus que les mathématiques et je commençais à prendre conscience que les filles n'ont pas que des mauvais côtés. Je n'avais qu'une terreur. Cette terreur venait toujours d'une phrase impérieuse prononcée par notre mère: "emmène ta soeur!" Pas question! De toutes les façons, elle était bien trop jeune pour intéresser mes copains avec qui, à la sortie du lycée, nous "faisions le Cours Mirabeau'".
Cette locution mystérieuse "Faire le Cours Mirabeau" signifiait simplement que nous montions , puis descendions entre copains les 400 mètres de la principale avenue d'Aix-en-Provence une bonne dizaine de fois avant de nous séparer. Je me voyais mal dans ces circonstances, tenir ma petite soeur par la main!
Malheureusement, cette phrase "emmène ta soeur" avait une variante. Une variante qui ne laissait pas de place à la discussion: "Accompagne ta soeur chez tes grands-parents!" Impossible de dire non. Je dois immédiatement apporter une précision importante: les lignes qui vont suivre vont être écrite sous l'entière responsabilité de Geneviève. Ce sont ses souvenirs! Moi, je n'ai aucune trace dans ma mémoire de la réalité de ses affirmations, mais ma conscience fraternelle et professionnelle me dicte de les mettre noir sur blanc. Donc, selon l'évangile familial de notre -presque- Sainte Geneviève versons les pièces manquantes au dossier.
Pour moi "accompagner ma soeur", selon elle donc, c'était aller de la rue de Lacépède à la rue Courteissade, rue qui à l'époque me semblait un vrai coupe-gorge bien que située derrière le Cours Mirabeau, le plus rapidement possible. Donc, j'aurais tenu entre le pouce et l'index, en tenaille, le cou de la pauvre enfant. Ainsi prisonnière, elle devait marcher, les pieds touchant à peine le sol, sans s'arrêter, sans parler, sans se faire remarquer. Arrivé chez nos grands-parents, j'aurais sonné et la porte à peine ouverte, je l'aurais poussée dans le sombre couloir en criant: "J'amène Zaza!" et sans un mot de plus, j'aurais claqué l'huis et filé enfin débarrassé de la corvée!
Ainsi se souvient Zaza de ces accompagnements musclés. J'imagine alors que je devais éprouver un sentiment de soulagement: ouf! Je n'avais rencontré personne de connu, que retour dans ma chambre, notre mère me demandait: "ça s'est bien passé?" en ajoutant:" En tous cas tu as eu vite fait!" et que je prenais alors un air niais et innocent et que je répondais: "Ah! bon?"









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