Eisenhower arrive dans notre famille.
Lorsque André arriva au monde, les cliniques étaient tenues par des "bonnes soeurs" en cornette. Plus question en 1951 d'accoucher à la maison: l'hôpital ou la clinique s'imposait. André ouvrit donc les yeux dans un établissement au nom optimiste et positif: la clinique de l'Espérance. Autour de lui, telles les soeurs de Cendrillon, s'agitaient dans un calme religieux des têtes au volume triplé par des coiffes à ailette.
Autant l'avouer tout de suite, toute la famille, les amis et les voisins furent frappés par l'extraordinaire ressemblance de ce bébé avec le trente-quatrième président des Etats-Unis, du moins pour le visage! André était le portrait tout craché de Ike: même calvitie, même joues creuses, même regard malin un peu narquois. A croire à une réincarnation un peu prématurée.
André, dès les premiers jours de sa vie affirma son caractère déterminé en se mettant illico en grève de la faim. Pas question pour lui de prendre le sein, pas question d'avaler le moindre biberon, du moins à une heure décente. A trois heures du matin oui! Mais à vingt heures quelle idée!
Nos parents se désespéraient. La balance manuelle dont le plateau ressemblait à une gaufrette incurvée ne servait qu'à constater une évidence: mon petit frère ne prenait pas un gramme ou alors, presque en cachette. Comme il grandissait tout de même, mes parents voyaient ses bras et ses jambes s'allonger. Mon père m'a dit plus tard en plaisantant: "A Marseille, ta mère et moi, on hésitait à aller au zoo avec ton frère, on avait peur qu'il nous le garde!" Mais comme vous le savez déjà, mon père et ma mère étant marseillais, il y a une grande part d'exagération dans ces propos.
Nous avions donc l'honneur d'avoir un général américain à la maison, habillé en barboteuse et chevauchant un tricycle en bois à tête de cheval dont les oreilles faisaient usage de guidon.
Pour le faire manger, toute la famille usait de ruses de Sioux. D'abord le traditionnel, et peu efficace :"Une cuillère pour papa, une cuillère pour maman". André ouvrait une grande bouche et alors que la becquée allait arriver à bon port, un geste habile permettait au bambin d'en projeter le contenu sur le chemisier, la robe, la chemise, sur le sol et sur la table. Tout le monde se demandait alors comment une si petite cuillère pouvait contenir autant de nourriture.
Ensuite, technique plus élaborée, changer de décors: en vacances à la montagne, Marie-Thérèse profitait de la douce chaleur de l'étable voisine. Elle y apportait le bébé et la bouillie.
Sous l'œil, évidemment bovin, mais compatissant d'une vache reconnaissante de ce spectacle qui la changeait de celui de la ligne désaffectée des chemins de fer de l'Ardèche, le show nourricier pouvait commencer: André bougeait, la vache bousait, mon frère hurlait, la vache meuglait. L'histoire ne dit pas si le lait tournait, mais ce qui est véridique, c'est que l'assiette se renversait un soir sur deux.
Tout cela n'empêcha nullement André de grandir tout à fait normalement. Ses proportions devinrent académiques, les traits de son visage abandonnèrent petit à petit toute ressemblance avec le héros américain pour se conformer à la tradition masculine de la famille.
A la rue Manuel, André connut l'instabilité des nounous. Véritables étoiles filantes qui traversaient son ciel d'enfant pour disparaître en quelques jours ou même en quelques heures. J'avais moi, la malchance d'être enfermé dans la grande école, tandis que lui, à six mois, fréquentait déjà les bars du Cours Mirabeau, respirait la fumée et l'enivrant parfum d'une drôle de nounou et de la liberté. J'en conclus parfois aujourd'hui que cette éducation d'avant-garde a permis à mon petit-frère d'être en avance sur moi quant à la connaissance de la réalité du monde. Tout n'étant finalement qu'une question de poules. Les miennes étaient rouges et picoraient sur un mur du pain dur, celles de mon frère étaient en talon et picolaient du gros rouge avec un dur. Ainsi va la vie! Il y en a qui ont plus de chance que d'autres. Je vous laisse deviner qui!
Autant l'avouer tout de suite, toute la famille, les amis et les voisins furent frappés par l'extraordinaire ressemblance de ce bébé avec le trente-quatrième président des Etats-Unis, du moins pour le visage! André était le portrait tout craché de Ike: même calvitie, même joues creuses, même regard malin un peu narquois. A croire à une réincarnation un peu prématurée.
André, dès les premiers jours de sa vie affirma son caractère déterminé en se mettant illico en grève de la faim. Pas question pour lui de prendre le sein, pas question d'avaler le moindre biberon, du moins à une heure décente. A trois heures du matin oui! Mais à vingt heures quelle idée!
Nos parents se désespéraient. La balance manuelle dont le plateau ressemblait à une gaufrette incurvée ne servait qu'à constater une évidence: mon petit frère ne prenait pas un gramme ou alors, presque en cachette. Comme il grandissait tout de même, mes parents voyaient ses bras et ses jambes s'allonger. Mon père m'a dit plus tard en plaisantant: "A Marseille, ta mère et moi, on hésitait à aller au zoo avec ton frère, on avait peur qu'il nous le garde!" Mais comme vous le savez déjà, mon père et ma mère étant marseillais, il y a une grande part d'exagération dans ces propos.
Nous avions donc l'honneur d'avoir un général américain à la maison, habillé en barboteuse et chevauchant un tricycle en bois à tête de cheval dont les oreilles faisaient usage de guidon.
Pour le faire manger, toute la famille usait de ruses de Sioux. D'abord le traditionnel, et peu efficace :"Une cuillère pour papa, une cuillère pour maman". André ouvrait une grande bouche et alors que la becquée allait arriver à bon port, un geste habile permettait au bambin d'en projeter le contenu sur le chemisier, la robe, la chemise, sur le sol et sur la table. Tout le monde se demandait alors comment une si petite cuillère pouvait contenir autant de nourriture.
Ensuite, technique plus élaborée, changer de décors: en vacances à la montagne, Marie-Thérèse profitait de la douce chaleur de l'étable voisine. Elle y apportait le bébé et la bouillie.
Sous l'œil, évidemment bovin, mais compatissant d'une vache reconnaissante de ce spectacle qui la changeait de celui de la ligne désaffectée des chemins de fer de l'Ardèche, le show nourricier pouvait commencer: André bougeait, la vache bousait, mon frère hurlait, la vache meuglait. L'histoire ne dit pas si le lait tournait, mais ce qui est véridique, c'est que l'assiette se renversait un soir sur deux.
Tout cela n'empêcha nullement André de grandir tout à fait normalement. Ses proportions devinrent académiques, les traits de son visage abandonnèrent petit à petit toute ressemblance avec le héros américain pour se conformer à la tradition masculine de la famille.
A la rue Manuel, André connut l'instabilité des nounous. Véritables étoiles filantes qui traversaient son ciel d'enfant pour disparaître en quelques jours ou même en quelques heures. J'avais moi, la malchance d'être enfermé dans la grande école, tandis que lui, à six mois, fréquentait déjà les bars du Cours Mirabeau, respirait la fumée et l'enivrant parfum d'une drôle de nounou et de la liberté. J'en conclus parfois aujourd'hui que cette éducation d'avant-garde a permis à mon petit-frère d'être en avance sur moi quant à la connaissance de la réalité du monde. Tout n'étant finalement qu'une question de poules. Les miennes étaient rouges et picoraient sur un mur du pain dur, celles de mon frère étaient en talon et picolaient du gros rouge avec un dur. Ainsi va la vie! Il y en a qui ont plus de chance que d'autres. Je vous laisse deviner qui!
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