Marie-Thérèse
C'est dans l'appartement de la rue Antoine Blanc que Marie-Thérèse passa son enfance avec sa jeune soeur Marguerite, les cheveux tressés et déjà un air d'institutrice. Elle commença sa scolarité en sautant le cours préparatoire d'une façon peu orthodoxe. Le jour de la rentrée, en octobre en ce temps-là, elle fut placée par erreur dans la classe supérieure.
La directrice, prévenue de cette anomalie, décida de venir chercher ma future mère et de l'accompagner à l'endroit où elle aurait due être, manoeuvre simple s'il en est, du moins en apparence car Marie-Thérèse en avait décidé autrement: elle s'accrocha en hurlant à son pupitre en déclarant qu'elle voulait rester là, qu'elle ne voulait pas changer de classe. Les menaces, les flatteries, les promesses, les ruses n'y firent rien. Les trente enfants suivaient amusés et intéressés cette scène en se demandant qui en serait le vainqueur. Ce fut Marie-Thérèse! La maîtresse, finalement, intercéda pour cette élève imprévue. La directrice capitula. Ainsi notre future mère gagna une année en quelques minutes et mit les bouchées doubles pour revenir au niveau de la classe. Enfant studieuse, ses études furent attentivement suivies par ses parents qui décidèrent de lui faire passer le concours de l'Ecole Normale" pour que leur fille devienne "maîtresse d'école".
Son éducation de jeune fille fut complétée par l'étude du piano. Pierre son père avait choisi cet instrument pour contrecarrer une initiative louable mais malheureuse d'un oncle bien intentionné qui avait offert à sa nièce un violon. Pleine d'un enthousiasme musical et de bonne volonté, la fillette en tirait des grincements aigus insupportables, maniant l'archer avec une brusquerie congénitale, mais ô combien efficace, transformant ce noble instrument en une sirène d'alarme. Par chance, nous étions encore avant la guerre, sinon Marie-Thérèse aurait réussi l'exploit de réunir toute la cage d'escaliers aux abris!
Enfin, Pierre et Louise achetèrent un piano droit qui relégua définitivement le violon dans son étui, ce dernier étant lui-même placé sur une armoire où il fut progressivement oublié.
Aujourd'hui, ce piano droit est toujours dans la famille après avoir servi aux trois enfants de Marie-Thérèse. C'est notre plus jeune soeur, Geneviève, dont nous reparlerons qui, sur les conseils de son époux, lui même épris de musique, a accepté d'adopter le vieux piano en son salon. Certes, il ne tient plus très bien l'accord, mais vu le niveau de Geneviève, cela n'a finalement pas trop d'importance!
Il existe une autre fin à ce chapitre en deux temps! Les petites soeurs sont souvent les souffre-douleur de leurs frères plus âgés ou la cible de leurs moqueries. Rectifions donc quelque peu. Certes Geneviève n'avait pas le niveau d'un Chopin devant le clavier d'ivoire, mais elle jouait très correctement et agréablement les airs à la mode. Citons en exemple une inoubliable pièce romantique de la grande Sheila dont l'art poétique frise le génie: "L'école est finie... La cloche a sonné, tu as seize ans mais tu en fais dix-sept, c'est de la chance!" En plus, les grands frères sont de mauvaise fois, ils mélangent deux chansons pour mieux être taquin. Bon! La cloche a sonné, passons à la suite, au deuxième temps. Alain, le mari de Geneviève, ne voulait absolument pas de ce piano encombrant. Il fit de la résistance, mais, le pauvre avait oublié ce vieil adage: "Ce que femme veut, Dieu veut!"